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Craft Beer, j’en boirais des tonneaux – Part II

CRAFT BEER, J’EN BOIRAIS DES TONNEAUX – PART II

Le fût qui nous intéresse aujourd’hui n’est pas sous pression, il n’est pas non plus en inox, il est en bois d’arbre véritable… et pas n’importe quel arbre… un des plus nobles et des plus chers : le chêne ! Notons qu’il existe des barriques fabriquées à partir d’autres essences, l’acacia notamment, mais c’est le chêne qui nous intéresse aujourd’hui, car le plus répandu.

Pour celles et ceux qui souhaitent découvrir ou redécouvrir la PARTIE I, c’est par ici !


De bois

Ce sont pour ses propriétés physiques (solidité, finesse du grain…) mais aussi chimiques (profil organoleptique, tannins…) que le chêne est utilisé en tonnellerie. Mais le choix ne s’arrête pas là.  Seules 3 variétés (sur 250 !) sont jugées propres à l’usage : le chêne pédonculé (Quercus robur), le chêne rouvre (Quercus petrae), le chêne blanc américain (Quercus alba). Ces variétés proviennent essentiellement de France (Auvergne, Limousin, Bourgogne, Centre…), d’Europe de l’Est et d’Amérique du Nord.

Les chênes ont cette particularité de pousser lentement, ce qui leur confère cette densité de matière et cette finesse de grain (que l’on ne trouverait pas chez des arbres qui pousserait en 20 ans). Ce sont alors des pièces souvent centenaires qui sont sélectionnées sur pied, en forêt. En France cette activité est réglementée et contrôlée par l’ONF (Organisme National des Forêts). Il faut prendre en compte que c’est une ressource rare, un patrimoine biologique qu’il convient de préserver durablement. La forêt de Tronçais, par exemple, située dans l’Allier, a été exploitée au 17eme siècle, à l’initiative de Colbert, pour produire le bois de construction des navires de La Royale !!!

A la suite du processus de sélection des troncs, seule une infime partie du bois sera utilisée (moins de 5%) pour 

produire des pièces calibrées (les merrains) qui seront alors longuement séchées au grand air (entre 2 et 3 ans en respectant différentes étapes) afin d’ôter ce goût vert qui produit une amertume désagréable (cette même amertume végétale que l’on peut retrouver dans une bière quand le houblonnage est mal maîtrisé) et ne garder que les beaux tannins.

Les merrains sont ensuite travaillés en douelles (« staves » en anglais) qui sont des planches complexes, biseautées sur les côtés selon un angle bien particulier afin de 

s’assembler entre-elles sans collage, par simple pression des cercles qui les maintiennent… sans clous (… ni vis). Plus larges en leur centre qu’à leurs extrémités chaque douelle qui compose une barrique diffère en largeur de ses deux voisines, et lorsque l’on démonte une barrique (pour la réparer par exemple), il convient de numéroter chaque douelle pour retrouver sa place au remontage. Du grand art !

 De feu

© Tonnelerie François Frères.

Afin de les cintrer, c’est-à-dire donner leur courbure aux douelles, elles sont par la suite chauffées. La méthode la plus traditionnelle se fait sur un braséro, mais d’autres techniques existent, le passage à l’étuve notamment. Les barriques ainsi mises en forme sont ensuite cuites, afin de figer leur forme mais aussi de leur apporter des profils aromatiques différents. C’est le bousinage. Il dure plus ou moins longtemps selon le rendu recherché. On parlera ainsi généralement chauffe blonde (ou légère), de chauffe moyenne, de chauffe forte… mais il existe quantité de subtilités, qui font la valeur ajoutée du tonnelier, pour des produits qui peuvent être parfois élaborés « sur mesure » selon le cahier des charges du client. 

La chauffe va donc créer des goûts différents selon l’origine du bois (son profil organoleptique) et selon la méthode utilisée (feu de bois, gaz, plaques de céramiques…). La sémantique anglaise est ici beaucoup plus imagée, comme souvent.

On parle de « toast ». Et on comprend dès lors très bien, en imaginant une tranche de pain que l’on grille, que la notion d’intensité et de durée a une importance majeure pour l’obtention du goût final… de la tranche dorée aux saveurs légèrement caramélisées à la tranche carbonisée aux saveurs âcres de brûlé.

On retrouve d’ailleurs ce même procédé pour le café (torréfaction) et les malts (touraillage). La nature du « toasting » va donc conditionner le goût du produit final et devra coller impeccablement à sa nature. Les chauffes très intenses (« charred ») étant réservées aux spiritueux forts tels que le bourbon ou le whisky.

D’air

Ce que beaucoup ignore et qui fait aussi la spécificité d’une barrique c’est sa porosité, sa capacité à laisser passer l’air de façon plus ou moins rapide. On parle de micro-oxygénation. Or tout le monde sait que l’oxygène est l’ennemi de la bière et du vin. L’oxydation quand elle n’est pas maîtrisée donne un mauvais goût et permet à certaines bactéries de se développer (la bactérie acétique notamment responsable du goût de vinaigre). Toutefois l’oxygénation lente et modérée permet à certains types de contenus d’évoluer favorablement et c’est un des facteurs recherchés par l’élevage en barriques outre l’échange de goût entre le liquide et la surface boisée. On comprend à ce moment mieux que l’utilisation de copeaux ou de cubes de bois ne pourra pas tendre au même résultat (je vous renvois à la controverse Innis & Gunn).

Cette porosité dépend de la finesse du grain (de fin à extra fin comme pour les haricots) qui dépend elle-même de la croissance de l’arbre et donc de son origine et de sa variété… Le chêne blanc américain, par exemple, moins cher, outre son goût très marqué vanille, a cette particularité d’avoir un grain plus grossier. Les élevages sont donc plus courts et permettent des rendus plus rapides mais aussi moins subtils.

Nous aurons l’occasion de revenir sur l’entretien d’une barrique mais le respect de son grain en sera un élément important et notamment la prévention de l’entartrage qui a pour effet de boucher les pores du bois bloquant ainsi les échanges gazeux.

Un produit 100% artisanal ?!

Vous l’avez compris une barrique est bien plus technique qu’il n’y paraît au premier coup d’œil. Elle est le fruit d’un savoir-faire ancien et artisanal, tout comme la production de bière ou de vin.
De la même manière qu’en brasserie on trouvera donc, en tonnellerie, différents usages, différentes tailles de structures, différents moyens, de la machine-outil centenaire aux lecteurs optiques dernière génération, de l’indépendant produisant une centaine de fûts par an aux conglomérats intégrants plusieurs marques (en France on compte notamment deux grands groupes dont le rayonnement est international : Le Groupe François Frères et le Groupe Charlois).

Toutefois, tout comme pour la bière, il y a des choses qui ne mentent pas : la sélection des matières premières, la compétence de l’artisan et le suivi de la qualité. Et si on peut faire des barriques à la chaîne (je vous invite à regarder la vidéo Jack Daniels « The Birth Of A Barrel »), la relation qui unit un producteur à ses tonneliers (l’approvisionnement en fût étant rarement mono-source) est souvent le fruit d’une collaboration de longue date, de la mise en œuvre de nombreux essais et de dégustations régulières. Et il y a, dans ce domaine, rien d’acquis, tant l’expérimentation fait foi mais aussi, on s’en doute un peu, la pression tarifaire. Une barrique de 225/228 litres en chêne français coûte en moyenne 600 à 700 €HT l’unité. Imaginez que les grands producteurs de vins en achètent tous les ans par centaines. C’est ainsi, pour les grands crus, le deuxième poste de coûts après les salaires !

Pour celles et ceux qui souhaitent découvrir ou redécouvrir la PARTIE I, c’est par ici !

<à suivre>

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