« Barrel aged » (mûrie en fût) voilà une mention qui s’invite de plus en plus sur les étiquettes de nos bières artisanales préférées. Certaines marques en ont en même fait leur spécialité… Au bénéfice du goût souvent, du marketing parfois, au même titre que les épices, les fruits, les huîtres… et tout ce qui peut bien passer par la tête du brasseur, la barrique trouve sa place en tant qu’ingrédient de la cuisine expérimentale brassicole.
Pourtant l’usage de la barrique comme composante du goût est assez récent, sa première vocation étant de contenir et pas de modifier la flaveur du contenant.
L’âge du bois
Inventé par les Gaulois, le tonneau est d’abord un outil de stockage, de transport… et, par voie de conséquence, une unité de mesure. Ainsi le tonneau est utilisé, jusqu’au début du XXème siècle, pour ses qualités pratiques de taille, de forme, de solidité et de poids. Qualités qui nous paraissent aujourd’hui bien relatives.
Alors certes, au XVIII ème siècle, à l’époque où anglais et hollandais se partagent le commerce des vins de Bordeaux, on se rend bien évidemment compte que le précieux jus amené, pour des questions alors exclusivement logistiques, à passer plusieurs mois dans une barrique de chêne s’en voit miraculeusement bonifié. Pour autant la technique de vieillissement en fût pour les vins, alcools, bières, cidres et vinaigres, ne deviendra méthodique que bien plus tard, sans être pour autant universelle ni systématique mais plutôt le fruit d’un certain usage régional et artisanal.
Et c’est bien là le premier point commun entre la barrique et la bière artisanale : le savoir-faire !
Contenant et contenu
On comprend, à notre époque, que s’agissant de denrées alimentaires, l’inox et les matières plastiques offrent des solutions plus adaptées et moins coûteuses pour le conditionnement et on imagine donc bien qu’il existe d’autres raisons pour expliquer que la barrique s’offre une seconde jeunesse. Pourtant, la première spécificité d’une barrique c’est son volume !
On trouve, selon les régions du monde, quantités de formats qui tirent leurs origines des différents systèmes métriques mais aussi des différentes habitudes ou contraintes de production. Toutefois les formats les plus répandus sont le format bordelais de 225 litres (300 bouteilles de 75cl) ou le format bourguignon de 228 litres (304 bouteilles de 75cl).
La blague nous dit : à Bordeaux on peut acheter (entendez les prix sont accessibles) mais on ne peut pas goûter (les bordelais ayant la réputation d’être mois ouvert à la dégustation) tandis qu’en Bourgogne on peut goûter (quasiment partout) mais on ne peut pas acheter (la taille des exploitations limitant l’offre) … d’où les 3 litres supplémentaires !
Au-delà du folklore la raison est toutefois bien plus technique. En fait il faut considérer la barrique de l’intérieur et plus particulièrement du point de vue de sa surface de contact (et donc d’échange) avec le liquide. On estime que le ratio optimal surface/volume est atteint pour des contenants jaugés entre 200 et 250 litres. La valeur médiane étant 225, le compte est rond à Bordeaux alors que la Bourguignonne se paye un petit extra !
De fait, plus on souhaite augmenter l’apport du bois plus on diminue le volume du contenant et inversement. Dans le milieu du vin, où l’on note, chez certains, un désir de réduire l’impact du caractère boisé la décision peut être prise d’augmenter le volume des fûts (300, 400, 500 ou 600 litres se vendent de mieux en mieux). Ce choix a aussi des vertus économiques. Le prix d’une barrique n’étant pas strictement proportionnel à sa taille, il est moins coûteux de travailler de gros volume. On parlera de coût de boisage (qui mesure l’impact du prix d’achat de la barrique sur le nombre de bouteilles produites).
Notons que la bière, moins tannique que le vin, supporte en général moins bien l’apport de bois (notamment de bois neuf). Le choix de travailler des volumes plus conséquents peut, à ce titre, être une solution pour boiser avec plus de subtilité et amortir un coût qui reste plus difficile à impacter sur le prix final (la bière étant souvent moins élitiste et plus abordable que le vin). Le conditionnement (généralement dans des bouteilles plus petites) et les rotations plus rapides (temps de garde plus court avec possibilité de remplir en suivant) sont néanmoins à la faveur d’un coût de boisage plus facile à amortir.
Partition et assemblage des lots
D’autre part et dès lors que l’on parle de contenant inférieurs à 10 hectolitres, on devine également assez nettement un tout autre intérêt brassicole.
Sachant qu’un même lot de bière peut être travaillé différemment (houblonnage, fermentation, adjonction de fruits…) et que l’on peut assembler des lots différents pour travailler l’équilibre du produit final, la barrique se profile alors comme un extraordinaire outil de travail et d’expérimentation sur de petits volumes (= partition). Chaque barrique devenant à proprement parlé une micro-cuvée, le champ des possibles, déjà très ouvert en matière de bière, devient illimité.
Et pourtant, s’il est le plus évident, ce n’est pas le premier usage que l’on fait de la barrique dans l’environnement brassicole français contemporain. A la décharge de nos producteurs nationaux, la barrique est un outil coûteux, bactériologiquement sensible, qui nécessite de l’expertise, de la patience et de la place (nous aborderons ces aspects tout au long de ce dossier dédié à la barrique et la bière).
Je reste néanmoins persuadé que c’est l’un des axes de travail le plus intéressant à creuser dans un pays aussi fortement influencé par le vin et la recherche du parfait équilibre dans l’association des goûts et des saveurs. Ailleurs, et notamment aux USA, autre pays producteur de grands vins, l’utilisation de la barrique comme outil de partition et d’assemblage devient un gros phénomène. Je gage que cela sera vite contagieux !
<À suivre>