Alcool, Bières

Craft Beer, j’en boirais des tonneaux – Part IV

Le choix d’une barrique d’occasion n’est pas une mince affaire. Un certain nombre de points de contrôle permettent cependant d’évaluer la qualité du produit et de s’éviter, au mieux quelques belles angoisses, au pire, une mise à l’égout de plusieurs hectolitres.

Pour celles et ceux qui souhaitent découvrir ou redécouvrir la PARTIE I, c’est par ici 

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On l’entend assez régulièrement, mieux vaut acheter une barrique fraîche ! Ça veut dire qu’elle a été récemment vidangée (= soutirée) ; ce qui présente de nombreux intérêts. Le premier c’est que la barrique n’a pas eu le temps de sécher et donc le bois ne s’est pas rétracté ce qui est souvent synonyme de fuite à l’entonnage. Le second c’est que toutes les flaveurs du liquide de vidange sont encore présentes ce qui permet d’en identifier assez simplement les qualités et les défauts… à la condition que la barrique n’ait pas été préalablement méchée (soufrée). Par ailleurs, la barrique a eu moins de chance de partir en déviance, c’est-à-dire de développer des bactéries à la suite de son entreposage à vide. L’ultime intérêt réside dans le fait que l’on se trouve, à ce stade du sourcing, très proche du revendeur initial, donc au plus près de la bonne information et du meilleur prix. Il reste utile de préciser que le marché de l’occasion est un marché d’intermédiaires et donc de commissions successives qui se cumulent à la défaveur de l’acheteur final.

Le contrôle visuel

Anatomie d’une barrique (Source : Wikipédia)

Le premier de point de contrôle est visuel. Il est assez simple à mettre en œuvre. Premier réflexe notamment pour des barriques vinaires : chercher l’année de fabrication de la barrique (cela a moins de sens pour des barriques de spirits dont l’avinage sur du long terme est le gage d’une bonne imprégnation des arômes dans la fibre du bois). Tous les tonneliers la mentionnent, en général sur l’un des fonds ou dans la partie intérieure des peignes (le peigne, ou chanfrein, est l’extrémité de la douelle, au niveau des fonds, qui est protégée par le cercle de tête). Une barrique qui a plus de 4 ou 5 ans ne donnera plus de « boisé » et sera éventuellement asséchante. L’état d’oxydation des cercles (en acier galvanisé s’ils ne sont pas peints) permettra de se faire une idée de l’âge de la barrique si l’année a été effacée (bizarrement ça arrive). Son aspect extérieur donnera aussi une idée de la façon dont elle a été traitée (travail propre ou pas). A noter que certaines barriques vinaires sont rougies. Elles sont peintes à la lie entre les deux cercles de bouge. C’est un artifice esthétique dans les chais. L’idée c’est juste de masquer les coulures de vins lors des soutirages, des entonnages ou des ouillages (remise à niveau pour compenser les diminutions de volume pendant l’élevage).

Des barriques entretenues par Dexter (Copyright : Sergio Burani)

Ensuite on visualise la présence ou non de coulures ailleurs qu’autour de la bonde. C’est souvent l’indicateur d’une fuite. Celle-ci peut avoir été comblée avec du jonc (cela veut dire que le tonnelier est intervenu pour réparer la fuite). Ensuite on vérifie que les douelles ne sont pas « cliquées » c’est-à-dire enfoncées, cassées ou fendues. Si c’est le cas elles doivent logiquement être remplacée par le vendeur. S’il est capable de le faire ou de le déléguer c’est qu’il est compétent. Des craquelures au niveau du trou de bonde sont fréquentes mais souvent sans conséquences outre un piège à bactéries. Les peignes sont également des zones de fragilité. Si la barrique est mal manipulée, notamment pendant le transport, ils peuvent être enfoncés et pourront provoquer des fuites.

Barrique entartrée ou non (Copyright : Diogena)

Il convient également de contrôler l’intérieur de la barrique à l’aide d’une petite lampe. On va y chercher des cloques ou des traces de tartre. Les cloques sont des défauts de fabrication qui incombent initialement au tonnelier. Lors du bousinage, il arrive qu’une zone du bois chauffe de façon trop prolongée. Cette brûlure se manifeste par la production de cloques. Ce sont de véritables nids à bactéries. Il faut s’en méfier. Le tartre quant à lui donne un aspect terne au bois, un voile opaque (un peu comme le biofilm ou le « beerstone » dans une cuve) et, s’il est accumulé en couches successives, des excroissances ou du relief (cf. illustration ci-contre). Non content de bloquer l’échange bois-liquide et gaz-liquide, il peut dissimuler des bactéries sous sa surface. Il révèle également que la barrique n’a pas été entretenu comme il faut.

Le contrôle olfactif

De la même manière que l’on porte un verre de bière ou de vin au nez après en avoir admiré l’aspect, le second point de contrôle de la barrique est logiquement olfactif. Les principaux défauts qu’il faut, entre autres, détecter sont souvent communs à la bière. Les brasseurs y sont donc en général sensibles. Ce sont les odeurs de vinaigre (acide acétique), de colle scotch ou de dissolvant (acétate d’éthyle), des odeurs animales de type sueur ou écurie (brettanomyces), des odeurs de réduction (composés soufrés), ainsi que toutes autres odeurs désagréables (poussière, fromage, moisi, serpillère, végétal…). Notons bien ici, que l’absence d’odeur induite ne signifie pas l’absence de bactéries ni de levures sauvages. Les brasseurs savent très bien par exemple que les brettanomyces travaillent très lentement. La non perception des marqueurs classiques de ces levures ne signifie donc pas qu’elles ne sont pas présentes, en dormance, dans le bois de la barrique, et prêtes à se réveiller dans les conditions favorables de PH et de nutriments (dans de la bière notamment).

Malheureusement il est très rare de pouvoir sentir une barrique avant qu’elle ait été soufrée (cf. entretien de la barrique plus bas). Une fois méchée la barrique est quasi incontrôlable tant l’odeur de soufre est forte. De fait on n’a pas autre choix que de se fier à l’intermédiaire qui a sourcé la barrique ou au producteur qui la cède. On en revient donc au prérequis de base : travailler avec des professionnels en qui on a confiance et qui sont en mesure d’apporter des garanties (origine, traçabilité, support, conseil, échange en cas de problème…).

Le contrôle bactériologique
Heureusement ce qui ne peut être détecté à l’œil nu ou au nez, peut l’être par des analyses microbiologiques. La plupart des viticulteurs en font régulièrement pour le suivi de leur produit et notamment avant la mise et donc en toute logique avant la revente des barriques sur le marché de l’occasion. Il ne faut pas oublier que ce sont les premiers concernés par une déviance bactériologique.

Brettanomyces (Copyright : Photo illo JQ)

Sans rentrer dans le détail, de la même manière que dans l’industrie brassicole les analyses mises en œuvre ont pour vocation à détecter des contaminants. Et les méthodes sont les mêmes : analyses sensorielles (dégustation), contrôle d’acidité, observation au microscope, mise en culture (sur des milieux sélectifs ou non) …

Logiquement, tout comme un vendeur de voiture qui délivrerait le contrôle technique et les factures d’entretien du véhicule, le vendeur de barrique doit pouvoir communiquer des analyses récentes, à la différence près que nulle législation ne l’y oblige.

Donc en cas d’absence d’analyses, deux solutions. Soit il n’y en a pas eu de faites car la dégustation du produit laissait entendre que tout allait bien. Dans ce cas c’est un coup de poker car rien ne laisse augurer que le prochain passage en barrique ne va pas laisser le champ libre à la flore microbiologique installée. Soit il y a un renard et auquel cas on préfère ne pas le dire. C’est souvent le cas pour les brettanomyces.

Véritable maladie honteuse dans les vignobles, la présence de brettanomyces est souvent considérée comme associée à de mauvaises pratiques sanitaires. Malheureusement ce n’est pas aussi simple que cela et beaucoup de viticulteurs très scrupuleux de l’état de propreté de leurs chais et de leurs fûts peuvent y être confrontés pour des raisons de terroirs (présence endémique). Et puisque qu’elles ne sont pas toujours perceptibles, chacun voit donc midi à sa porte. N’oublions pas qu’une barrique, c’est de l’argent… et qu’une barrique d’un an vaut encore la moitié de son prix d’achat si elle est saine ! Les enjeux sont parfois considérables quant on parle en centaines de pièces.

La mise en service, l’entretien et le stockage

Canne « Moog » (Copyright : Sovitec)

Avant d’utiliser une barrique, mieux vaut respecter quelques recommandations importantes.
A minima un rinçage s’impose afin de laver la barrique de tous résidus tels ceux issus du méchage mais de manière plus générale il est recommandé de mettre la barrique en eau afin de regonfler le bois. Cela permet de prévenir ou d’identifier les fuites éventuelles. Autant vous dire qu’on préfère voir fuir de l’eau que sa bière !

Plusieurs techniques sont possibles, de quelques litres d’eau chaude pendant quelques heures (avec un peu de technique) à plusieurs centaines de litres pendant 48 heures. Tout dépendra du temps dont on dispose et surtout de l’état du produit livré. Les tonneliers ou revendeurs informent en général leurs clients du protocole de mise en service d’un fût.

Après utilisation, la barrique doit être correctement nettoyée. Plusieurs étapes sont nécessaires pour un parfait entretien avant réutilisation ou stockage. Tout d’abord un rinçage simple à l’eau et une mise à l’égout des lies. Ensuite un lavage haute pression afin de décoller le tartre. En général, la difficulté d’accès (via uniquement le trou de bonde) nécessite une canne de lavage de type Moog équipée d’une buse multidirectionnelle pour aller nettoyer dans les moindres recoins

 

Le méchage

(un peu comme une boule de lavage dans un fermenteur). Il est fréquent de faire un premier passage eau chaude (80°C) puis eau froide afin de créer un choc thermique qui va favoriser le décollement du tartre. Cette étape dure 5 à 15 mn selon l’état du contenant. Ensuite, quand c’est possible, un passage à la vapeur (en utilisant un générateur adapté… le même que pour aseptiser une ligne d’embouteillage par exemple). La vapeur va permettre d’éradiquer un maximum de contaminant mais ne pourra pas aller chercher celles qui sont le plus en profondeur dans le bois. De toute façon on ira pas au-delà de 10 mn de vapeur si on ne va pas non plus abîmer la fibre du bois et rincer ses arômes.

Si toutefois la barrique doit être stockée quelques temps à vide (dans un local frais, ni trop sec, ni trop humide). Il faudra la mécher, c’est-à-dire faire brûler à l’intérieur une pastille de soufre (en général le dosage recommandé et de 5g. Il est à renouveler tous les mois si la barrique est amenée à rester vide de façon prolongée). La barrique rebondée (= refermée) après méchage sera protégée par le soufre de tout développement bactérien pendant son stockage. Attention, il est recommandé de mécher sur une barrique correctement vidangée de son eau de rinçage (c’est-à-dire laissée bonde en bas pendant au moins 24h après son nettoyage) sinon ça risque de sentir l’œuf pourri !

<A suivre>

Black Bird In Beer

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